Alors que Bruxelles vient de rejeter la fusion Alstom-Siemens, l'Europe reste le principal marché mondial accessible à toutes les entreprises, contrairement à la Chine et au Japon.
Politique industrielle contre défense du consommateur, colbertisme chinois versus naïveté européenne... Le veto que la Commission européenne vient de mettre au projet de fusion entre le constructeur français Alstom Transport et son homologue allemand Siemens Mobility n'a pas fini de faire couler de l'encre. Mais sur le plan économique - et non politique -, que représente le marché mondial du ferroviaire ? Quels acteurs s'y affrontent ?
« Le marché mondial, avec ses trois segments, matériel roulant, signalisation et infrastructures, représente environ 160 milliards d'euros. Mais comme des pays, à l'instar de la Chine et du Japon, réservent les contrats aux seules entreprises locales, le marché accessible est en fait de 110 milliards d'euros par an », explique aux « Echos » Jean-Pierre Audoux, le délégué général de la Fédération des industries ferroviaires (FIF).
Les projets de « mass transit » se multiplient aux Etats-Unis et la Chine a lancé un plan pour ajouter 3.200 km supplémentaires aux 4.000 km que son réseau de lignes à grande vitesse a atteints en 2018. Mais c'est bien l'Europe qui reste le premier marché accessible au monde, avec un chiffre d'affaires d'une quarantaine de milliards d'euros et une perspective de croissance de 2 % pour les cinq prochaines années.
Sur le Vieux Continent, en effet, les priorités des agglomérations, des grandes villes et des entreprises nationales vont à la modernisation des réseaux existants, aux infrastructures (voies, quais, ouvrages d'art, etc.) et à la signalisation (embarquée et/ou au sol), ainsi qu'au rajeunissement du parc roulant.
Le chinois CRRC vise le marché mondial
Qui sont les grands acteurs de la filière ? Avec 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires environ (dont 4 ou 5 milliards à l'international), China Railway Rolling Stock Corp (CRRC) arrive en tête. Il est né en 2015 de la fusion des deux constructeurs CNR et CSR.
Une fusion faite « précisément pour créer un géant capable de s'imposer sur le marché mondial. Et pour éviter une guerre des prix fratricide entre ses deux prédécesseurs sur les appels d'offres internationaux », analyse Jean-Marc Dufour, directeur du cabinet DCA Chine-Analyse et auteur de « China Corp. 2025 : Dans les coulisses du capitalisme à la chinoise » (à paraître le 19 février). Depuis deux ans, CRRC a raflé quasiment tous les contrats de métro et de tramway aux Etats-Unis, sauf celui de Washington.
CRRC frappe à la porte de l'Europe Présent dans 104 pays et régions, couvrant 83 % des pays équipés de lignes ferroviaires, CRRC frappe à la porte de l'Europe. S'il n'a glané jusqu'ici que quelques contrats en Serbie, en Macédoine ou en République tchèque, il a échoué par deux fois à s'offrir une entreprise (l'italien Ansaldo d'abord et le tchèque Skoda ensuite) pour se constituer sur le Vieux Continent une tête de pont - certains diront un cheval de Troie. |
Trois généralistes en embuscade
Derrière CRRC suivent les trois « généralistes » (présents sur le matériel roulant, la signalisation et les infrastructures) Alstom Transport, Siemens Mobility et le canadien Bombardier, avec des chiffres d'affaires de peu ou prou 8 milliards d'euros.
Dans leur sillage, on retrouve un « gruppetto » de sept à huit équipementiers. Dans la catégorie des 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires figurent notamment l'américain Wabtec (qui a racheté le français Faiveley Transport), l'allemand Knorr-Bremse ou encore le chinois KTK.
Enfin, dans le club des spécialistes du matériel roulant, présents dans le créneau de 500 millions à 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires, se côtoient les espagnols Talgo et CAF, le suisse Stadler Rail et le tchèque Skoda. Racheté en 2005 par le japonais Hitachi à Finmeccanica, l'italien Ansaldo STS occupe aussi ce créneau, mais c'est un spécialiste de la signalisation.
Jean-Michel Gradt