Le président de la Fédération des industries ferroviaires est certes soulagé de voir Belfort poursuivre son activité. Mais il regrette « le gaspillage des deniers publics et la confusion ». Et déplore une « succession d’annonces en catastrophe »…
VR&T. Le gouvernement a arrêté, avec Alstom, le plan pour sauver Belfort. Le fait le plus marquant, c’est la commande directe, par l’Etat, de 15 rames TGV destinées à une ligne Intercités. Que vous inspire cette décision ?
Louis Nègre. Des sentiments très contrastés. D’un côté, un certain soulagement puisque ces 15 rames de TGV doivent normalement permettre à Belfort de poursuivre son activité jusqu’au début de la production du TGV 2020 attendue en 2021 ou 2022. Mais également, un sentiment de gaspillage des deniers publics et de confusion. Tout d’abord on comprend mal la logique entre l’annonce ministérielle de la commande de 15 rames de TGV pour la SNCF destinées à circuler sur Bordeaux - Marseille via Toulouse et le lendemain l’annonce selon laquelle l’Etat s’engageait à ne plus obliger la SNCF à financer de nouvelles LGV.
Cela veut donc dire implicitement que ces 15 rames, les plus coûteuses du parc ferroviaire, prévues pour rouler à plus de 300 km/h, circuleront pour l’essentiel sur des lignes limitées à 160 km/h avec un maximum de 200 km/h.
On ne peut pas parler d’une vision réfléchie de notre politique des transports. On assiste à une succession d’annonces en catastrophe. On est même capable d’imaginer un « plan industriel en dix jours » alors que pendant des années, bien qu’informés, rien n’a été fait. La dernière annonce : un énième plan de relance du fret. Pour faire quoi ? Pour aller où ? Tout cela manque singulièrement de cohérence et de vision structurée tant sur le plan de la politique des transports que sur celui de la politique industrielle de notre pays.
VR&T Que pensez-vous des autres éléments du plan ?
L. N. Les autres éléments du plan restent, malgré tout, moins dimensionnants même si l’on comprend bien que la commande de locomotives annoncée permettrait de gagner un peu de temps pour l’activité fret de Belfort.
Pour ce qui est de la modernisation du site, je puis imaginer que cela va dans le bon sens.
VR&T. Le gouvernement s’est dit surpris par l’annonce d’Alstom, faite le 7 septembre, concernant Belfort. Vous-même, avez-vous été étonné ? Et, si ce n’est pas le cas, avez-vous alerté à temps le gouvernement, afin de lui épargner cette mauvaise surprise ?
L. N. Vous connaissez la réponse à cette question. Cela fait plus de quatre ans que la FIF s’exprime sur les risques majeurs pesant sur les sites industriels de matériel roulant. Je tiens en outre à rappeler que je suis intervenu sur cette question dès janvier 2013, lors d’une réunion du CS2F [Comité stratégique de la filière ferroviaire, NDLR], à Valenciennes, en présence d’Arnaud Montebourg et de Frédéric Cuvillier. Depuis cette réunion, je n’ai cessé en tant que président de la FIF et coprésident du CS2F d’alerter, dans les médias mais aussi par courriers et lors de rencontres ministérielles, les pouvoirs publics sur la catastrophe annoncée due à la chute des plans de charge matériel roulant notamment chez Alstom et Bombardier Transport.
Les pouvoirs publics étaient donc parfaitement au courant y compris au plus haut niveau.
VR&T. Faut-il absolument « sauver Belfort » ? Sauver un site suffit-il à définir une stratégie industrielle ? Et est-ce ainsi qu’on assure la pérennité des sites français ? Ceux d’Alstom comme ceux d’autres constructeurs ?
L. N. En décembre 2014, j’avais annoncé lors d’une conférence de presse avec mes collègues présidents de Syntec Ingénierie et la FIM qu’une grave menace pesait désormais directement sur le site de Belfort.
Mais, pas seulement…
Nous avions également fait état d’inquiétude pour l’avenir de Reichshoffen, de Crespin et également de Bagnères-de-Bigorre, et au-delà pour celui des PME-PMI, fournisseurs, qui s’y rattachent.
En fait, « l’insuffisance de la commande publique » remonte à une politique publique que je considère comme étant ni ferroviaire ni planifiée.
VR&T. Les membres du gouvernement ont parlé ces derniers jours d’une « nécessaire réorganisation » de la filière industrielle. Quelle est votre réaction en tant que président de la FIF ?
L. N. Permettez-moi de vous rappeler que la filière industrielle ferroviaire française est déjà organisée autour d’un comité stratégique de filière depuis 2011, CS2F présidé par le ministre de l’industrie – avec la présence systématique du secrétaire d’Etat aux transports. L’ensemble des parties prenantes y sont représentées et ont été impliquées dans les réflexions qui ont abouti au rapport « Ambition 2020 » pour l’avenir de la filière.
« Ambition 2020 » décrit clairement les forces et les faiblesses, les menaces et les opportunités. Le rapport identifie les 24 chantiers à conduire pour renforcer notre filière industrielle.
Cette vision a été confortée en juin dernier par la résolution Werner du Parlement européen qui à son tour, décrit l’état des plus préoccupants de la filière.
Que chacun prenne ses responsabilités : la FIF a rempli sa mission en alertant et en proposant des solutions concrètes et opérationnelles.
Nous attendons depuis la loi ferroviaire d’août 2014 les propositions de l’Etat stratège…
Il y a urgence : je vous confirme que les risques de sinistres industriels sont plus forts que jamais sur des sites majeurs dans les Hauts-de-France, en Grand-Est ou encore en Nouvelle Aquitaine.
Et là, permettez-moi d’insister de nouveau sur l’impact dramatique que cela aura sur les PME-PMI de l’écosystème lié à ces sites.
VR&T. Que préconisez-vous pour donner à la filière la cohérence et la dynamique indispensables ?
L. N. Le ferroviaire dépend directement des finances publiques, à commencer par l’Etat. Il faut enfin que ce dernier joue son rôle de stratège.
Il est impératif de développer une vision stratégique à long terme et de disposer d’une politique de transport crédible en mettant autour de la table l’ensemble des parties prenantes afin d’élaborer le schéma national d’infrastructure des transports qui nous manque pour conduire une politique cohérente dans ce domaine. Ce schéma doit être réaliste et réalisable. Il doit s’appuyer en priorité sur une loi-programme et une sanctuarisation indispensable du financement des infrastructures.
Affirmer que notre filière industrielle ferroviaire est stratégique n’a de sens qu’à l’aune d’une politique des transports digne de ce nom. A l’époque de la COP22, le ferroviaire a plus que jamais sa place dans le développement des transports.
Le déploiement du Grand Plan de Modernisation du Réseau constitue à cet égard un défi d’une totale exemplarité. Les industriels ont d’ailleurs proposé des solutions de partenariats à SNCF Réseau.
Je suis confiant dans le fait que nos propositions, soutenues par les présidents de SNCF Réseau, contribueront au dynamisme et à la cohérence de notre filière.
Enfin, la performance de notre système ferroviaire est loin de correspondre à l’attente des Français. Je le redis : l’ouverture à la concurrence, est à mes yeux, un levier indispensable pour redynamiser notre système ferroviaire à l’image de ce qui s’est fait chez nos voisins. Cette ouverture, maîtrisée et régulée, doit être perçue par les cheminots, non pas comme une menace mais comme une opportunité.
La redynamisation du système ferroviaire français passera nécessairement par ces étapes.
Il est grand temps de nous regrouper, avec l’appui de l’Etat, autour d’une même stratégie ferroviaire s’inscrivant dans la durée et dans une reconquête ambitieuse des Français qui aiment profondément leurs trains.
Propos recueillis par François Dumont