Interview de Louis Nègre, président de la Fédération des Industries Ferroviaires : “Le renouvellement du parc TET représente 4000 emplois” ( ville-rail-transports.com – 10/06/2015)
Ville, Rail & Transports : Le rapport Duron évoque un appel d’offres pour le matériel roulant des TET. Jacques Auxiette, se fondant sur les contrats-cadres déjà signés avec les industriels, juge dans un communiqué que cette proposition n’est pas acceptable. Comment vous inscrivez-vous dans ce débat ?
Louis Nègre : Il me semble important de dépasser cette opposition et de réfléchir sur la temporalité et la priorité des besoins.
Le rapport Duron, lui-même, met en exergue des besoins massifs de renouvellement du parc de matériel notamment pour des dessertes sur le Bassin Parisien, la Normandie et la Picardie.
Je considère que les contrats-cadres existant permettent largement d’apporter une réponse rapide et pertinente aux besoins identifiés par la Commission Duron.
Lancer un nouvel appel d’offres n’a selon moi pas de sens aujourd’hui. Aux plans financier, économique et technique, les contrats-cadres actuels permettent de proposer immédiatement des matériels conformes aux attentes des clients, adaptés à l’état de l’infrastructure. Qui plus est avec un cadre budgétaire relativement bien connu. Enfin, ils permettraient à la filière industrielle ferroviaire française de faire face au « trou d’air de 2016-2020 » qui commence déjà à faire sentir son effet.
A plus long terme, on pourrait envisager le lancement d’un appel d’offres pour un nouveau matériel roulant, sous certaines conditions toutefois :
- que de vastes travaux de régénération et de modernisation de l’infrastructure aient été entrepris afin de permettre la circulation de trains jusqu’à 250 km/h, sous réserve de la pertinence économique de ces travaux,
- que le volume des besoins soit suffisant pour justifier les investissements des industriels pour développer un nouveau train.
Tout cela est une question de pragmatisme et de bon sens.
Ville, Rail & Transports : Vous souhaitez que l’on s’inspire en Allemagne de la stratégie de renforcement d’offre de la DB sur le segment intercités. Mais la DB investit aussi dans les autocars
Louis Nègre : La DB, groupe multimodal emblématique, a profité de l’ouverture à la concurrence sur les autocars en Allemagne intervenue il y a quelques années pour investir dans ce segment, dans l’espoir de trouver de nouvelles opportunités de développement, tout en rivalisant avec les sociétés d’autocars privées. Les résultats obtenus (concurrence effrénée entre autocaristes (y compris DB, mais aussi, par « effet pervers », autoconcurrence des autocars de la DB avec ses ICE) ont conduit la DB à apporter une réponse ferroviaire par le haut en décidant en janvier 2015 non pas de réduire la voilure, mais au contraire, d’investir massivement dans l’offre ferroviaire intercités.
Tout cela résulte d’une saine émulation : la concurrence vécue positivement peut conduire à des décisions extrêmement favorables au mode ferroviaire et donc à sa filière industrielle.
Ville, Rail & Transports : Quels sont les enjeux pour la filière ferroviaire, notamment à l’export, des choix qui vont être faits ?
Louis Nègre : Je vous rappelle que c’est entre 10 000 et 15 000 emplois qui sont menacés aujourd’hui en raison de l’effondrement des plans de charges des industriels (-1,1 milliard d'euros de CA pour le matériel roulant en 2018). Le renouvellement du parc TET, dont le rapport de la Commission Duron évalue les besoins dans une fourchette de 2,5 à 3,2 milliards d’euros, représenterait l’équivalent de 4 000 emplois.
Comme vous le savez peut-être, j’ai fait introduire dans la loi du 4 août portant sur la réforme ferroviaire un article sur l’exportabilité du matériel. Les matériels concernés par les contrats-cadres sont « exportables », sous réserve bien entendu des nécessaires aménagements adaptés aux clients étrangers. Le Régiolis et Coradia Liner sont dérivés de la plate-forme Coradia et Alstom Transport en a vendu en Allemagne et en Suède notamment. La situation est identique pour Bombardier Transport et le Regio 2N.
Aujourd’hui, les constructeurs visent en particulier les marchés d’Europe de l’ouest, en particulier l’Italie, mais aussi le Maghreb (Algérie, Maroc).
Le rapport de la Commission « avenir des TET » : un rapport lucide qui doit conduire à des actions urgentes
C’est avec la plus grande attention que la FIF, des plus concernés par l’avenir qui sera donné aux Trains d’Equilibre du Territoire (TET), a examiné le rapport de la Commission « Avenir des TET » présidée par le député Philippe Duron, Président de l’AFITF.
Louis NEGRE, Président de la FIF, tient à saluer la qualité et le sérieux du travail de cette Commission dont le diagnostic sur les causes ayant conduit à la situation actuelle sur ce segment dans notre pays est largement partagé par la Fédération.
« La valeur ajoutée de ce rapport réside dans une analyse qui permette de prendre conscience de l’importance des TET ».
La FIF note avec intérêt l’évaluation pertinente des besoins prioritaires d’investissements en matériel roulant.
Elle regrette toutefois que l’horizon évoqué (2020-2025) ne prenne pas suffisamment en compte deux points essentiels :
- Le besoin impératif de renouvellement du parc Corail,
- Le creux majeur d’activité qui menace notre filière dès 2017, avec le risque d’une perte de 10 000 à 15 000 emplois pour la filière.
La FIF rappelle aux pouvoirs publics l’existence des contrats-cadres qui permettent de répondre aux besoins prioritaires et ainsi participer à une redynamisation rapide de l’activité TET, en contribuant à limiter la baisse de charge de l’industrie.
La FIF souligne également la nécessité concomitante, non seulement d’une régénération, mais également d’une modernisation du réseau, permettant aux TET de circuler entre 160km/h et 200km/h, de façon cadencée, sur l’ensemble des lignes concernées et ainsi répondre pleinement aux attentes des clients.
La FIF attire l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité d’une vision positive s’appuyant sur un « développement de l’offre ferroviaire, répondant aux besoins de mobilité», capable de produire « des effets vertueux » et ainsi susciter une « dynamique de redressement».
Pour faire face à la concurrence de l’autocar, DB, référence ferroviaire en Europe, a lancé une nouvelle stratégie début 2015 basée sur un fort renforcement de son offre ferroviaire sur le segment inter-cités. La FIF considère que cette approche constitue l’illustration de la voie à suivre.
Pour Louis NEGRE : « Notre filière ferroviaire, 3ème mondiale, doit pouvoir pleinement s’appuyer, à l’instar de ses concurrents, sur un marché national performant et dynamique et sur une politique ferroviaire volontariste et conquérante associée à une introduction rapide et maîtrisée de la concurrence. C’est ainsi que notre système ferroviaire modernisé deviendra plus compétitif et plus efficace afin de répondre au « RDV de l’avenir »