L’industrie ferroviaire française, la troisième dans le monde après la Chine et l'Allemagne, est aujourd'hui à la croisée des chemins, confrontée à un ensemble de signes et d'événements mondiaux et nationaux signifiants. "A l'international, nous assistons à l'accélération de l'offensive asiatique, notamment japonaise (implantation de Hitachi au Royaume Uni) et chinoise (formation d'un véritable mastodonte du ferroviaire par la fusion de CNR et de son rival CSR), et à l'émergence de nouveaux acteurs" ; explique Jean-Pierre Audoux, directeur général de la FIF (Fédération des industries ferroviaires).
Résultat : les trois grands constructeurs "historiques", Alstom, Siemens et Bombardier, sont "pris en tenaille entre ces concurrents asiatiques et certains constructeurs européens, de taille certes plus modeste mais très dynamiques, comme le Suisse Stadler, les Espagnols Caf et Talgo, et les Polonais Pesa et Solaris".
Retournement de politique
C’est au niveau national que l'alerte est la plus chaude, avec notamment l’écroulement des plans de charge dès l’horizon 2016 pour les matériels roulants. Bien sûr, on peut invoquer la crise économique et le tarissement des financements publics, mais l'inquiétude vient surtout de la conjugaison de mesures structurelles prises (ou non prises) par le gouvernement (abandon de l'écotaxe, suppression de la taxe professionnelle qui finance les Régions, ouverture à la concurrence des autocars...), mesures toutes extrêmement défavorables au ferroviaire, déjà fortement concurrencé par l'avion et la route (dont fait nouveau le covoiturage). "C’est un retournement complet 5 ans après le Grenelle et particulièrement brutal de la part des pouvoirs publics", estime Jean-Pierre Audoux. "Après avoir prôné le ferroviaire comme solution d'avenir, notamment du point de vue environnemental, on se tourne, aujourd'hui, vers une approche de rentabilité à court terme où le ferroviaire est sacrifié sur l'autel de l’alternalité en ne tenant aucun compte des répercussions globales en termes d'emplois et de coûts induits pour le citoyen-contribuable."
Un triangle des Bermudes financier
De fait, notre système ferroviaire est financièrement "non pérenne". "Comme perdu dans un triangle des Bermudes financier ; le ferroviaire français cumule trois faiblesses majeures : un niveau de pertes alarmant, un endettement qui croît chaque année de 1,5 à 2Mds € et une consommation frénétique de subventions publiques - 14 Mois € par an aujourd’hui, » souligne Jean-Pierre Audoux. La FIF a analysé la situation par segments, en pointant du doigt les secteurs où les marchés sont les plus sous-exploités, en premier lieu le fret. "Le trafic fret stagne à 30 milliards de t-km par an dans notre pays, alors qu'après une forte baisse en 2009-2010, il est remonté à 110 milliards de t-km en Allemagne. Les besoins sont pourtant considérables. Une mesure prioritaire serait de doter enfin le fret ferroviaire de sillons incluant les lignes capillaires modernisées à priorité fret avec de meilleurs taux de réponse positive et des délais d'attribution très nettement réduits pour les demandeurs."
Un TGV exportable
Autres segments à "débrider" d'urgence, celui des TET (Intercités) ainsi que les investissements ferroviaires en région Ile-de-France, tant pour les matériels roulants et RER nouvelle génération que pour les infrastructures et la signalisation. Quant au TGV, la vitrine du savoir-faire ferroviaire français, tout doit être tenté pour éviter l'abandon de cette filière d'excellence. Une ardente obligation toutefois : que le TGV du futur soit bien "exportable".