Emploi : L'industrie du transport public et ferroviaire cherche un second souffle (Transport public : juin 2014 p. 72 à 74)
L'emploi dans la filière industrielle du transport public et ferroviaire a connu ces dernières années une progression qui risque de marquer un coup d'arrêt. D'où la recherche de relais de croissance.
Le dynamisme du secteur des transports publics et ferroviaires génère-t-il toujours, en amont de la chaîne, des créations d'emplois en France ? Autrement dit, si l'on met de côté l'activité créée chez les opérateurs de transport urbain, (les effectifs ont encore cru de 1,9% en 2012 selon l'UTP), interurbain et ferroviaires, l'industrie de construction de matériel roulant en profite-t-elle ? Et plus en amont encore, l'ingénierie hexagonale est-elle toujours tirée par le développement des infrastructures de transport collectif? A vrai dire, à toutes ces questions, les représentants de ces secteurs apportent des réponses sinon alarmistes du moins teintées d'attentisme inquiet. «Certitude, l'emploi dans notre branche a atteint un pic ces dernières années», indique Sandrine Cheminel, déléguée générale adjointe de la Fédération des industries ferroviaires industrie ferroviaire (FIF).
Selon la comptabilisation réalisée par la fédération, qui a toutefois un peu de mal à détourer parfaitement ce secteur (certaines PME sous-traitantes relavant des branches aéronautiques et automobiles travaillent également pour le rail), l'emploi a connu une progression régulière. «On est passé entre 2002 et 2012 de 17 000 à près de 21 000 emplois directs - 26 600 si l'on englobe les poseurs de voie, continue-t-elle, mais le pic est peut- être atteint». Sous-entendu : la décrue est à redouter pour l'industrie ferroviaire française. En 2012, les constructeurs ont comptabilisé 2,76 milliards d'euros de chiffres d'affaires contre 1,75 milliard en 2003. Le marché intérieur a généré 2,19 milliards d'euros -le seuil des 2 milliards ayant été franchi au début de la décennie - tandis que l'export a représenté 572 millions d'euros. Les équipementiers, de leur côté, ont connu leur plus haut niveau en 2008, la barre du demi-milliard d'euros ayant été dépassée cette année-là grâce à un export très dynamique (594,8 millions d'euros au total dont 196 pour l'export). Depuis, l'activité générée par le marché français s'est un peu essoufflée tout en restant soutenue (546 millions d'euros dont 360 pour la France). Mais au total, les chiffres 2013 de l'industrie ferroviaire devraient pour la première fois depuis longtemps connaître un recul de son chiffre d'affaires.
Les locomotives du secteur
Cette dernière décennie, tirée par les deux locomotives que sont Alstom Transport et Bombardier, le secteur a vu les cadences dans ses usines être soutenues en particulier par les commandes ferroviaires réalisées par les régions pour l'achat de nouveaux TER comme le Régiolis et le Regio 2N. Dans une moindre mesure, les trams Citadis ont aussi joué leur rôle. Mais du côté de la grande vitesse, l'export reste un débouché décevant et la SNCF ferme peu à peu son robinet de commandes. Les dernières levées d'option de Duplex ont été obtenues au forceps et assureront du travail jusqu'à 2019. Au-delà, c'est très flou. Heureusement, la commande par l'Etat des TET ouvre un nouveau cycle. Quant à la poursuite des commandes TER à travers des levées d'option, elle est hypothéquée par les moyens financiers des régions réduits par la crise. Mais l'intervention de la Banque européenne d'Investissement (BEI) dans le montage du financement comme en Midi-Pyrénées permet de ne pas trop baisser le rythme de commande.
Il n'en reste pas moins que les constructeurs cherchent à trouver de nouveau relais de croissance en se redéployant vers de nouvelles activités. L'une des pistes nouvelles pourrait être l'incursion en France d'Alstom et Bombardier dans l'entretien et la maintenance des trains en atelier. Ce qui suppose que l'industrie privée empiète sur le domaine de l'entretien du matériel roulant dont les technicentres de la SNCF et leurs agents ont l'apanage. Une forme de passage au privé, socialement sensible, qui pourrait se dérouler par le biais de l'activité TER. En effet, la cogitation est ouverte dans les régions où la hausse mécanique de la facture des coûts d'exploitation des TER sert d'aiguillon. «C'est une piste, car à partir du moment où une région choisit comme l'Aquitaine de financer et d'être propriétaire d'un atelier de maintenance de TER, on peut avoir une réflexion pour faire évoluer le mode de gestion des matériels roulants», s'interroge Patrick du Fau de Lamothe, membre des commissions chargées des fmances et du transport au Conseil régional d'Aquitaine.
Made in France
A l'évidence, les industriels du ferroviaire veulent éviter le scénario noir qu'ont connu leurs homologues de la filière du bus et de l'autocar. Celui d'une fonte du réseau. Après la chute du mur de Berlin, nombre d'industriels ont délocalisé leur production à l'est de l'Europe pour abaisser les coûts de production et l'évolution darwinienne a conduit à des fusions entre constructeurs en France, le résultat étant la disparition des marques Renault puis Irisbus au profit d'Iveco. Résultat: aujourd'hui, les réseaux urbains et interurbains se nourrissent majoritairement de bus et d'autocars fabriqués à l'étranger. «Je n'ai pas de comptabilité précise, mais on est largement au-delà des 60% du parc immatriculé en France produit à l'étranger», indique Christian Giraudon, chargé de la commission bus et autocar au sein de la Chambre syndicale internationale des métiers de l'automobile et du motocycle(CSIAM) et directeur des ventes en France du constructeur Otokar. Cette proportion est toutefois à corriger en fonction des segments, les réseaux urbains gérés par les élus étant plus enclins à acheter français, pour peu qu'il reste des fabricants implantés dans le pays. Iveco fournit le gros des emplois, suivent loin derrière Trouillet et Durisotti pour les minibus. Iveco incarne donc une filière. «Nous employons 1300 personnes à l'usine d'Annonay qui produit aussi pour l'export (elle vient d'emporter un contrat pour fournir près de 151 bus au GNV pour la ville de Bakou en Azerbaidjan, ndlr), 500 personnes à l'usine d'Heuliez en Vendée, 300 au centre de recherche bus Iveco de Vénissieux», détaille Nicolas Tellier, porte-parole d'Iveco Bus. S'ajoutent 150 personnes du réseau commercial et d'entretien. Face à la concurrence des bus de l'étranger, le constructeur met en avant le label OFG, Origine France garantie. D'ailleurs, dans ce registre, le virage programmé par le STIF et la RATP, donneurs d'ordre majeur, pour passer progressivement à une flotte de bus propres (hybrides puis tout électriques) est destiné à susciter l'émergence d'une filière française capable de rivaliser à l'export sur ce créneau d'avenir.
La filière ingénierie
Placé aux avant-postes, le secteur de l'ingénierie des infrastructures transport public et ferroviaire est de son côté très sensible aux infléchissements des politiques publiques. Il constitue ainsi un bon indicateur. En France, cette industrie de matière grise a un poids certain. Les statistiques de l'INSEE ne sont pas très précises mais la fédération professionnelle Syntec Ingénierie estime à quelque 10000 le nombre de salariés liés à l'ingénierie d'infrastructure de transport et à 1 milliard d'euros le chiffre d'affaires produit en France. Comment vont évoluer les effectifs? «Il est certain que le secteur a connu une trajectoire dynamique mais plusieurs incertitudes pèsent sur l'avenir de l'activité», analyse, Karine Leverger, déléguée générale de la fédération professionnelle Syntec Ingénierie. La plus évidente est le financement des infrastructures lié à la taxe poids lourds qui doit en principe apporter 800 millions d'euros par an à l'Agence de financement des infrastructures de France et dont l'avenir est plus qu'incertain. «Or, la troisième vague de projets de transport en commun en site propre en dépend directement», s'inquiète Nicolas Jachiet, le président d'Egis. Autre impact de l'arlésienne de la taxe poids lourds: les études liées aux projets de contrats de plan Etat risquent d'être retardées. Tout n'est pas noir, pour autant, les premiers marchés passés par la Société du Grand Paris, qui ont fourni des contrats à quasiment tous les acteurs français (Egis, Systra, Ingerop, Setec, etc.), permettent à ces sociétés d'ingénierie de repositionner sur ce nouveau filon les ingénieurs affectés aux lignes à grande vitesse ou aux projets de TCSP de province. De quoi assurer un maintien de l'emploi.
Outre la question de la taxe poids lourds, l'autre inquiétude touche aux questions sociales ou fiscales: instabilité du régime de crédit impôt recherche, instabilité du coût du travail auquel l'ingéniérie est très sensible, la masse salariale représentant l'essentiel des coûts de l'ingénierie. Autant de données qui peuvent impacter le maintien en France de production effectuée pour l'export. «Il est certain que ce curseur joue sur la compétitivité des entreprises françaises qui affrontent des concurrents des pays émergents», souligne Syntec Ingenierie.
Marc Fressoz