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Les causes contestables de la chute du fret ferroviaire (Le Rail - Novembre 2013 p. 30 à 33 )

Le constat n’est plus à faire : le fret ferroviaire français a connu un déclin historique depuis les années 2000 (-40% entre 2000 et 2011) et semble être loin aujourd’hui  de remplir les objectifs du Grenelle de l’Environnement. Si on en croit la position officielle du gouvernement, à travers la nouvelle conférence fret, la désindustrialisation du territoire a contribué à l’effondrement de l’activité et l’introduction de la concurrence en 2006 n’a pas eu l’effet escompté.

Si l’on compare l'évolution entre 2000 et 2006 de la production industrielle (+0.7%) par rapport à celle du ferroviaire (-30%), les causes du déclin méritent d'être plus attentivement considérées. Après un décrochage très net jusqu'en 2006, on observe, avec l'introduction de la concurrence sur le marché du fret ferroviaire, un retour de la corrélation entre l'évolution de l'activité et le PIB, signe d'une meilleure réactivité à l'environnement économique. Par conséquent, alors qu'une nouvelle conférence sur le fret s'ouvre, on propose de réinterroger les raisons du déclin du fret ferroviaire. Il convient de reprendre point par point les idées reçues et de comparer les performances du secteur français à celles de ses homologues européens. Trois pays ont été choisis: la Grande-Bretagne pour la chute effective de sa production industrielle (-13% entre 2000 et 2011), la Suède pour la faible densité de son réseau et l'Allemagne pour la dynamique de son marché (plus de 300 opérateurs).

On note, par ailleurs, que ces trois pays ont eu la possibilité de libéraliser le secteur du fret ferroviaire dès le début des années 1990.

Un déclin cantonné à la France

Commençons par rappeler que la tendance observée en France est bien réelle et qu'elle ne s'applique pas à nos voisins européens. Trois phases peuvent être distinguées :

 • 2000-2002 - Le secteur ferroviaire sous-performe en France mais reste corrélé à la moyenne européenne. Le ralentissement économique du début des années 2000 marque une récession des trafics en Europe jusqu'en 2002 ;

• 2002-2006 - Le décrochage a lieu. Alors que la croissance repart à la hausse en 2003 en UE27, le ferroviaire français perd 17% de ses trafics tandis que la moyenne européenne progresse de 12% ;

• 2006-2011 - La cohérence avec la tendance européenne est retrouvée à partir de 2006 même si le secteur continue de sous-performer.

La cause à une évolution négative du PIB ?

La théorie économique standard veut que l'évolution de l'activité transport soit corrélée à l'évolution du PIB. Les modes se distinguent les uns des autres par des niveaux de réactivités différents (élasticité) à l'environnement économique. Le PIB exprime le niveau de richesse d'une nation et dépend aussi bien de la production que de la consommation de biens. Dans le cas français, le fret routier illustre cette théorie. Le trafic croît quand le PIB croît et inversement selon une certaine sensibilité.

Dans le cas du ferroviaire, la théorie ne semble pas s'être appliquée pour la période 2000-2006, à moins de considérer une élasticité négative de l'activité transport par rapport au PIB.

On distingue deux périodes :

• 2000-2006 - Le PIB croît de 11% tandis que l'activité fret se rétracte de 30% ;

• 2006-2011 - Le fret ferroviaire semble retrouver une cohérence avec l'évolution du PIB et, comme pour le transport routier, une élasticité forte durant la crise de 2009. Si on réalise un tour d'horizon européen, force est de constater que l'évolution de l'activité fret est en général corrélée à celle du PIB. Cette situation ne signifie pas plus de trafic dans ces pays qu'en France mais illustre plutôt une plus grande capacité à s'adapter aux évolutions de l'environnement économique.

Déclin et baisse de la production industrielle ?

Une corrélation très nette entre production industrielle et transport de fret ferroviaire est souvent admise. Mais estelle pour autant vérifiable ?

La production industrielle française a connu une stagnation entre 2000 et 2006 (+0,7%). On observe par ailleurs une légère phase de récession entre 2002 et 2003 (-2% par rapport à 2000) alors même que le PIB continue de progresser, signe d'une moins grande dépendance du PIB français à la production industrielle. Néanmoins, on constate ici encore un décrochage très net du fret ferroviaire entre 2003 et 2006 et le retour à une évolution corrélée à partir de 2006.

Dans les autres pays européens, les courbes ont évolué de manière plus cohérente, excepté en Grande-Bretagne où l'effondrement continu de la production industrielle entre 2000 et 2011 (-13%) ne s'est pas soldé par une contraction du secteur ferroviaire (+19% sur la même période). En revanche, le secteur est resté corrélé à l'évolution du PIB signe d'une probable diversification du domaine de pertinence.

En ce sens, le transport de conteneurs et de déchets constituaient de nouveaux gisements de croissance pour l'activité ferroviaire britannique.

Contraction des secteurs industriels historiques

Comparons les données issues des séries longues du compte des transports (2012) aux données de production industrielle de l'INSEE.

La comparaison n'est pas possible pour l'ensemble des secteurs industriels liés au transport ferroviaire (défauts de cohérence des données). Néanmoins, quatre secteurs clefs peuvent être soumis à la comparaison :

• produits manufacturés: ils représentent 26,8% du trafic ferroviaire en 2007 ;

• produits agroalimentaires: 19,1% du trafic ferroviaire en 2007 ;

• matériaux de construction: 11,1% du trafic ferroviaire en 2007 ;

• produits énergétiques (combustibles et produits pétroliers) : 7,5% du trafic ferroviaire en 2007.

L'évolution des quatre secteurs de production confirme la croissance atone de la production industrielle en France et le décrochage du ferroviaire sur la période 2000-2006 :

• agroalimentaire : +3% entre 2000-2006 et -37% pour l'activité ferroviaire ;

• énergie : +5% entre 20002006 et -34% pour l'activité ferroviaire ;

• produits manufacturés : +3% entre 2000-2006 et -35% pour l'activité ferroviaire ;

• construction : +4% entre 2000-2006 et -13% pour l'activité ferroviaire. Ces résultats détaillés valident l'existence d'une élasticité négative entre le transport de fret ferroviaire et son domaine de pertinence historique. La thèse d'une corrélation directe entre déclin du fret ferroviaire et production industrielle paraît difficile à soutenir. Tout porte à croire au contraire que l'écueil du ferroviaire viendrait plus de facteurs endogènes au secteur qu'exogènes.

Déclin et défaut de performance ?

La rareté des données sur l'organisation interne des opérateurs en France et plus généralement en Europe, rend l'évaluation de leur performance approximative.

Reprenons donc une étude menée par Yves Crozet et Jean-Claude Raoul en 2011. Ils comparent la productivité du système français à celles du système allemand et du système suisse en considérant: les millions d'unités de trafic (M.vk + M.tk) rapportés aux effectifs travaillant dans l'entreprise intégrée (pour la France: RFF et SNCF).

Le résultat montre un décrochage français en termes de productivité face à ses voisins européens entre 1996 et 2008. La France a progressé de seulement 18,3% tandis que l'Allemagne et la Suisse ont gagné respectivement 61,2 et 75,8%. Les auteurs mettent en avant deux raisons pour expliquer cet écart :

• la Suisse et l'Allemagne ont passé avec leur opérateur historique des accords explicites en termes de gains de productivité, contrairement à la France ;

• les réductions de personnels sur les réseaux voisins ont été accompagnées d'une hausse des trafics tandis que les trafics se sont effondrés au même rythme que la baisse des effectifs en France.

Néanmoins, cette étude s'intéresse à la performance de l'entreprise en général. Elle mêle transport de voyageurs et transport de marchandises. Le détail pour la branche fret n'est pas possible en raison de l'absence de données sur le nombre de personnel alloué à l'activité. Par conséquent, l'activité voyageurs ayant eu tendance à croître depuis 2000 en France, il est probable que les gains réels de productivité spécifiques à l'activité fret aient été moindres.

Autrement dit, c'est la question des coûts de production du service qui est directement posée. Il n'est malheureusement pas possible de déterminer une courbe d'évolution des coûts de production dans le secteur mais la comparaison avec l'évolution des trafics entre 2000 et 2006 aurait pu être tout aussi enrichissante que celle réalisée pour le PIB ou la production industrielle.

Impact de la concurrence sur le secteur ?

Comment analyser le retournement de tendance observé en 2006? L'étude des trafics montre une élasticité négative entre 2000 et 2006 puis le retour à une élasticité positive avec une corrélation de l'évolution de l'activité par rapport à son environnement économique.

Quelle autre explication apporter à cette tendance si ce n'est l'introduction de la concurrence sur le réseau ?

On constate une montée en puissance progressive des nouveaux entrants malgré la crise de 2009. Ils représentent, en 2011, 30% du marché et ont largement contribué au rebond des trafics (+3,8% en 2011) en comparaison de la SNCF (+0,4%).

Evaluer l'impact des nouveaux entrants sur le secteur est difficile notamment en raison de la crise économique.

Néanmoins, on remarque que :

• leur impact a été marginal dans la période 2008-2010, limitant de quelques points seulement la chute d'activité du secteur ;

• leur impact semble être positif dans les années de croissance économique (2007, 2011), permettant à l'activité fret de renouer avec la croissance.

Par conséquent, au regard des observations réalisées précédemment, il est possible d'avancer que l'introduction de la concurrence sur le marché a pu avoir :

• un effet direct négligeable en termes de gain de trafic ;

• un effet indirect important en termes de cohérence entre évolution du secteur et PIB. Autrement dit, la concurrence a permis au secteur de gagner en souplesse et en réactivité par rapport à l'environnement économique. Cette assertion répond à la théorie économique standard en matière de concurrence et de monopole. La menace d'un nouvel entrant, même anecdotique, a pour vertu de rendre l'ancien monopole plus performant et plus réactif. C'est notamment ce qui a pu être observé en Allemagne où la DB est aujourd'hui leader européen en matière de fret ferroviaire.

La même logique pourrait très bien être appliquée dans le domaine du transport de voyageurs avec pour gain une meilleure réactivité de l'offre à la demande.

Conclusion

Cette étude remet en cause, d'un point de vue statistique, les arguments habituellement avancés pour expliquer la réduction du trafic fret ferroviaire en France.

Il est plus probable que les raisons du déclin soient à rechercher dans des causes endogènes au secteur (productivité et organisation de l'entreprise) plutôt que dans des causes exogènes (croissance économique, production industrielle). Néanmoins, il est difficile d'étudier plus en détail la performance de l'entreprise par manque de données. Par ailleurs, si la concurrence n'a eu pour l'instant qu'un impact marginal sur les trafics (en TK), on observe deux conséquences positives :

• elle a certainement permis au secteur de retrouver la voie de la théorie économique standard en reconnectant son évolution à celle du PIB, moyennant une élasticité propre ;

• elle a certainement encouragé l'opérateur historique à repenser son offre pour gagner en compétitivité (nouvelle offre multilots/multiclients, convois de 850 m, etc.).

Il serait donc trompeur d'affirmer que le fret ferroviaire a décliné pour des raisons exogènes à son activité et que la concurrence n'a pas eu d'effet sur l'activité. Pour conclure, on peut affirmer que :

• au regard de l'évolution des trafics en Europe, le transport ferroviaire de marchandises reste un mode pertinent (et le déclin français des années 2000 est propre au secteur national) ;

• au regard de l'évolution des trafics en France, l'introduction de la concurrence a certainement entraîné un regain de réactivité et d'attractivité pour le secteur. Par conséquent, la conférence pour le fret ferroviaire pourrait être l'opportunité de pousser plus avant la question des coûts de production dans le secteur et les leviers possibles pour les réduire.


Florent Laroche, Chargé de mission économique à la Fédération des Industries Ferroviaires (FIF)