Les deux commissions compétentes du parlement ont donné mardi à l'unanimité leur feu vert à la reconduction de Guillaume Pepy à la tête de la SNCF. Son second mandat s'achèvera en 2018, soit un an avant la fin théorique du monopole de la compagnie sur le marché français du transport ferroviaire de voyageurs. La société s'apprête à affronter la concurrence, tandis que le gouvernement prépare une lourde réforme pour rattacher la gestion du réseau ferré à la SNCF. Et une nouvelle convention collective pour l'ensemble du secteur ferroviaire doit être négociée.
A 54 ans, Guillaume Pepy va être officiellement reconduit, d'ici à la fin mars, à la tête de la SNCF pour un second mandat de cinq ans (2013-2018). Un choix qui a fait l'unanimité auprès des sénateurs et des députés qui l'ont auditionné ce mardi. Non seulement parce qu'il a bien su piloter la compagnie ferroviaire pendant les cinq ans de crise qui ont accompagné son précédent mandat, mais aussi parce qu'il possède une connaissance intime de l'entreprise. Et pour cause. Il lui a déjà consacré dix-sept ans de sa vie dont dix comme directeur général, et cinq comme président. Au vu des défis à relever, cette expérience est un atout de poids. « Sa tâche ne va pas être facile. Guillaume Pepy tient sa maison. Tout autre choix aurait retardé de deux ans la réforme du secteur ferroviaire que prépare le gouvernement », assure un professionnel du secteur.
Sa feuille de route n'est pas encore finalisée. Mais l'objectif est très clair : Guillaume Pepy doit préparer la SNCF à l'ouverture à la concurrence du marché du transport ferroviaire de passagers français à partir de 2019. "C'est un mandat de préparation (à l'ouverture du marché, ndrl) pour que la SNCF soit en mesure de l'affronter et non pas de vivre un choc", a déclaré Guillaume Pepy mardi devant les députés. Après l'ouverture du marché intérieur de fret en 2006 et celle du transport international de voyageurs à la fin 2009, il s'agira du dernier volet de la libéralisation du secteur en Europe. En janvier dernier, la Commission européenne a en effet proposé d'« ouvrir, à partir de décembre 2019, toutes les lignes nationales de transport de voyageurs aux nouveaux entrants et prestataires de services ». C'est le point central du « quatrième paquet ferroviaire », un ensemble de mesures destinées « à améliorer la qualité des services ferroviaires en Europe et à diversifier l'offre ».
La Deutsche Bahn veut en découdre
Conséquences : sur les liaisons régionales, interrégionales et à grande vitesse, le monopole de la SNCF tombera à la fin de la décennie. Voire avant. Car techniquement le calendrier peut être anticipé. Comme l'explique Jean-Pierre Audoux, le délégué général de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), une fois le quatrième paquet ferroviaire (à savoir les modifications apportées à la directive 2012/34 et au règlement OSP 1370/2007) approuvé, la directive devra être transposée en droit national. Dès lors, la concurrence sera actée "de jure". Ce sera au gouvernement français de décider du calendrier. Il risque d'être confronté à de fortes pressions. « Avec les fortes ambitions de la Deutsche Bahn, il ne faut pas exclure une pression de l'Allemagne pour une ouverture à l'horizon 2015 », explique un expert proche du dossier à Bruxelles. Un calendrier envisagé par le gouvernement Fillon, lequel n'excluait pas d'abolir le monopole de la SNCF plus rapidement avec une ouverture des marchés des trains d'équilibre du territoire (TET) en 2014, et celle des TER en 2015. Un scénario que balaie le gouvernement actuel, qui campe sur 2019.
« L'exemple du fret nous montre qu'un opérateur non préparé à la concurrence se retrouve fragilisé. Nous voulons au contraire renforcer la SNCF pour la préparer à affronter la concurrence », explique le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier. Depuis l'ouverture du marché du fret en 2006, les nouveaux entrants ont raflé près de 30% du marché français, dont 20% pour Euro Cargo Rail, une filiale de la Deutsche Bahn. Fret SNCF, qui n'allait déjà pas bien, continue de prendre l'eau, malgré la succession des plans de restructuration. Fret SNCF a consommé 2,9 milliards d'euros de cash! Son redressement restera bien entendu un défi à relever pour Guillaume Pepy. "Nous n'avons pas réussi à créer les conditions d'un développement du fret ferroviaire", admet le président de la SNCF, qui milite pour "une complémentarité avec la route".
Baisser les coûts pour baisser les prix
Pour éviter les mêmes déconvenues dans le transport de passagers, la SNCF doit être en mesure d'affronter la concurrence en étant compétitive et en ayant amélioré sa qualité de services. Autrement dit, une recette simple, du moins sur le papier : « Il faut faire mieux et moins cher », explique un directeur de la SNCF. "Il faut baisser nos coûts pourt baisser nos prix", confirme Guillaume Pepy. Ce dernier prépare donc « un programme structurant de la performance industrielle» pour les années 2014-2018 qui sera présenté en juin ou en juillet prochains en conseil d'administration. Ce plan reprendra le programme budgétaire en cours, qui vise à réaliser environ 150 millions d'économies en 2013 et 700 millions d'ici à 2015 sur quatre postes de dépenses (immobilier, systèmes d'information, achats, frais généraux). «Nous y ajouterons des efforts industriels sur nos principaux métiers », précise Guillaume Pepy, sans "impact sur la qualité de services". Sur la durée de son prochain mandat, il vise de faire grimper "la marge opératonnelle de 9,5% à 10,5-11%, soit un gain de de 1 à 1,5 milliard d'euros à l'horizon 2020". Un point de marge qui permettra de réduire la dette à 5,5-6 milliards d'euros, contre plus de 7 milliards aujourd'hui.
"Pas de dumping social"
Mais au-delà de ses propres efforts, l'opérateur ferroviaire doit pouvoir bénéficier de la réforme du secteur, qui fera l'objet d'une loi cette année. A la fois pour améliorer la qualité du service grâce à une modernisation du réseau ferré, mais aussi pour limiter les écarts de coûts avec les nouveaux entrants. L'un des volets essentiels de cette loi sera en effet de définir un nouveau cadre social pour l'ensemble du secteur. Même si la loi de 1940 qui régit le transport ferroviaire sera modifiée, le statut des cheminots sera conservé.
Suivra l'élaboration d'une convention collective pour l'ensemble du secteur ferroviaire au sein de l'Union des transports publics (UTP), qui sera retranscrite ensuite au sein de la SNCF par des accords d'entreprises. « L'ensemble des entreprises ferroviaires vont essayer de mettre en place un cadre social harmonisé », explique Michel Bleitrach, le président de l'UTP, qui souhaite préserver les spécificités de chaque grand métier - fret, gestionnaire d'infrastructures et voyageurs -, dans la mesure où les conditions de travail peuvent différer de beaucoup. Pour autant, pas de risque de retrouver dans le ferroviaire les écarts observés dans le transport maritime ou aérien. « Pas de dumping social », martèlent le gouvernement et les syndicats de la SNCF qui veulent une harmonisation vers le haut. Notamment pour tout ce qui touche à l'organisation du travail (nombre de jours de repos, amplitude du temps de travail, temps de travail effectif, etc.). Néanmoins, « le niveau conventionnel ne sera pas au niveau de celui de la SNCF aujourd'hui. Mais il devra être proche, sinon cela risque de provoquer des remous, prévient André Milan, secrétaire général de la CFDT Transports Environnement. L'objectif est d'éviter les distorsions de concurrence ».Ce chantier, qui devrait bien durer deux ans après la promulgation de la loi, est de fait crucial pour la compétitivité future de la SNCF. Car derrière les conditions de travail se jouent évidemment les futurs éventuels écarts de productivité avec les concurrents. La tâche de Guillaume Pepy s'annonce délicate. Car même en cas d'harmonisation vers le haut, il devra desserrer le carcan social de la SNCF sans mettre le feu aux poudres. "J'ai confiance dans la capacité des partenaires sociaux à négocier une convention collective", a déclaré Guillaume Pepy.
Le retour à un système intégré de gouvernance
L'autre grand volet de cette réforme est ailleurs. Dans une meilleure organisation du système ferroviaire qui doit conduire à une amélioration de la qualité de services. « Il faut que les trains soient à l'heure ! », résume-t-on à la SNCF. Pourtant, ce n'est pas si évident : le réseau ferroviaire français est à bout de souffle. Or, pour parvenir à cette efficacité opérationnelle, une importante modernisation est incontournable.
Grâce à un investissement de 1,7 milliard d'euros par an entre 2007 et 2012, le Réseau ferré de France (RFF) a réussi à ralentir le vieillissement du réseau. Pour autant, le problème reste entier. Aujourd'hui, plus de 1000 chantiers sont en cours, dont quatre lignes à grande vitesse. Deux fois plus qu'il y a dix ans. Et ce niveau ne devrait pas bouger jusqu'en 2018-2020. En octobre dernier, l'État voulait faire passer l'enveloppe d'investissement à 2 milliards d'euros par an. Reste à voir si ce montant résistera aux coupes budgétaires.
En attendant, RFF doit remettre en avril au ministère des Transports un plan de modernisation du réseau pour définir notamment un système de pilotage de l'infrastructure censé apporter des gains de productivité. C'est donc pour gagner en efficacité que la loi sur le ferroviaire va modifier la gouvernance du secteur en créant un gestionnaire d'infrastructures unifié rattaché à la SNCF et qui regroupera RFF, la direction de la circulation ferroviaire et les cheminots de la SNCF chargés de l'entretien des voies. Un ensemble qui regroupera 50 000 salariés. Ce système intégré mettra donc fin au schéma mis en place en 1997 avec la création de RFF comme responsable du réseau ferré à la place de la SNCF, mais dont la gestion de l'infrastructure opérationnelle était confiée à la SNCF (dans sa branche SNCF Infra).Il faut dire que cette gouvernance bicéphale de l'infrastructure s'est soldée par une multiplication des doublons, des services non coordonnés. Bref, par un système déficient et coûteux. La dette du ferroviaire français s'élève à près de 40 milliards d'euros aujourd'hui (32 milliards pour RFF et 7 milliards pour la SNCF) et se creuse chaque année de 1,5 milliard. Résultat. « Il manque 5 milliards d'euros par an au secteur ferroviaire français, il faudra donc les trouver. Cela viendra d'un meilleur système, plus intégré », assure-t-on à la SNCF où, sous l'impulsion de Guillaume Pepy, on a poussé cette évolution. "Cette unification du gestionnaire d'infrastructures peut générer des gains de 1 à 2% de productivité. Sur un capital de 100 milliards d'euros (pour moitié à RFF, pour l'autre à la SNCF), le gain est de 1 à 2 milliards", a expliqué Guillaume Pepy.
Les concurrents ne gagneront que 15% du marché maximum ?
Pour autant, la France devra mettre en place les garde-fous nécessaires pour que ce gestionnaire d'infrastructures, rattaché à la SNCF, soit eurocompatible et garantisse un traitement équitable aux nouveaux entrants. « J'attends de voir », explique Albert Alday, le directeur général de Thello, la seule entreprise privée française à s'être lancée sur le transport international de voyageurs.
Reste LA question. Le marché intérieur français va-t-il réellement s'ouvrir? Le ticket d'entrée est en effet très élevé. « Le ferroviaire est un métier à très forte intensité capitalistique et à faibles marges qui n'attire pas facilement beaucoup de monde, explique Michel Bleitrach. Si les nouveaux entrants prennent à terme 15% du marché, ce serait déjà, à mon sens, une vraie performance », ajoute-t-il. Une chose est sûre : la Deutsche Bahn entend bien débouler en France. Et ce, sur tous les segments de marché. S'il ne fait pas de doute que la SNCF sera concurrencée sur quelques lignes à grande vitesse, c'est sur le transport public régional que la bataille s'annonce la plus forte. Autorités organisatrices de transport depuis 2002, les régions auront en effet la possibilité de confier ce service public à tout autre opérateur que la SNCF. Toutefois, les régions s'interrogent. Vaudra-t-il mieux une ouverture en « open access » très compliquée, mais moins coûteuse, ou une délégation de service public, plus onéreuse mais plus simple à mettre en place en raison de l'expérience des négociations avec la SNCF ? Bref, elles mettent en balance le coût de la mise en appel d'offres et le retour en termes de qualité de services. Sur cette question, Bruxelles a une réponse : « Sur certains marchés libéralisés, l'attribution par appel d'ores des contrats de service public s'est traduite par des économies de l'ordre de 20% à 30% à niveau de services égal. » Un argument de poids à l'heure de la rigueur budgétaire. Guillaume Pepy est prévenu. A lui de jouer.