L'atonie depuis plus de seize mois des carnets de commandes TER illustre les difficultés des Régions à financer l'acquisition de nouveaux matériels. Elle ne manque pas d'inquiéter les constructeurs, soucieux de préserver leurs plans de charge. Comme les besoins de transport vont crescendo, de nouvelles sources de financement devront être trouvées pour résoudre cet épineux problème.
Les présentations aux Régions et à la SNCF des nouveaux Trains Express Régionaux (TER) en 2011 ont mis en exergue la capacité des constructeurs Alstom et Bombardier à respecter des calendriers de réalisation pour le moins tendus. Mais, fait nouveau, elles ont aussi permis aux Régions de faire entendre leur voix sur le problème préoccupant du financement de ces mêmes matériels. Pourtant, à l'heure de signer les contrats, à l'issue d'une période particulièrement faste pour l'industrie ferroviaire, l'euphorie était de mise. Nous étions à l'automne 2009, soit quelques mois seulement avant la réforme de la taxe professionnelle qui, d'un coup, a mis à mal les ressources financières des Régions.
Elan coupé
Pourtant, les Régions avaient déjà beaucoup donné. L'ensemble des intervenants montés à la tribune lors de la présentation du premier Régiolis le 14 juin 2011 n'eurent de cesse de rappeler que ce sont les Régions qui ont sauvé les trains omnibus en les transformant en TER. Et ces mêmes Régions de souligner qu'elles avaient déjà investi 6,5 milliards d'euros sur fonds propres dans l'acquisition de nouveaux matériels, un effort financier présenté comme "sans équivalent en Europe depuis une vingtaine d'années".
Un peu moins d'un an plus tard et si l'on exclut les cinq levées d'options pour des rames Régiolis exercées par la Région Pays-de-la-Loire en début d'année 2012 pour un montant de 33 millions d'euros, aucune commande de matériels TER n'est venue compléter le plan de charge d'Alstom et de Bombardier. Cette situation de blocage perdurant depuis plus de vingt-quatre mois à présent est à mettre en parallèle avec des commandes potentielles de mille rames Régiolis d'Alstom et de huit-cent-soixante Régio2N de Bombardier évoqués lors de la signature des contrats.
En proie désormais à de graves problèmes de ressources financières, les Régions ne peuvent donc plus continuer à jouer le rôle de locomotive pour l'industrie ferroviaire française. Et d'expliquer qu'entre les dotations de l'Etat et le budget affecté aux TER, c'est à présent un "trou" de 1,5 milliard d'euros qu'il faut combler chaque année. La phrase prononcée alors par Martin Malvy, Président de la Région Midi-Pyrénées et également Vice-Président de l'Association des Régions de France, "nous ne pouvons pas continuer à financer l'acquisition de trains s'il n'y a pas de rentrées d'argent", reste plus que jamais d'actualité. Aucune nouvelle source de financement n'a été trouvée pour l'instant pour relayer l'absence de ressources fiscales pour les Régions, hormis la TIPP (Taxes Intérieures sur les Produits Pétroliers) et les cartes grises.
Comme elles ont déjà augmenté leur part de TIPP ces dernières années, il n'existe aujourd'hui plus aucune marge de manœuvre en la matière. Cette part est d'ailleurs appelée à diminuer en raison de la réduction de la consommation de carburant.
Les inquiétudes des constructeurs
Concernés au premier chef, les deux constructeurs Alstom et Bombardier font mine, pour l'heure, de ne pas s'inquiéter quant aux risques pesant sur leur plan de charge. Si Alstom n'a pas souhaité confirmer cette position, Bombardier Transport France s'est montré plus disert par la voix de son Président, Jean Bergé. "Si je me montre inquiet quant à la perte d'autonomie financière des Régions, je ne le suis pas en revanche pour notre plan de charge. Celui-ci est, en effet, assuré jusqu'en 2016. Je suis donc confiant et ce d'autant que nous pourrions engranger des commandes à un chiffre pour le Régi02N cette année". Mais selon Jean-Pierre Audoux, Délégué Général de la Fédération des Industries Ferroviaires (FIF), "les risques sont bien réels d'avoir une baisse du marché ferroviaire national de près de 50% à l'horizon 2016 si les commandes de matériel TER ne repartent pas. Et de rappeler fort opportunément que ce marché tiré par la croissance des commandes TER ces dernières années "a atteint un pic à 2,3 milliards d'euros en 2010".
Fort heureusement, la santé des constructeurs ne repose pas uniquement sur la production de matériels régionaux. A l'issue d'une longue période d'incertitude où les problèmes du coût des péages faisaient planer de lourdes menaces sur de nouvelles commandes, la SNCF s'est finalement engagée à prendre quarante Euroduplex de plus livrables à partir de 2015, un contrat d'une valeur potentielle de 900 millions d'€ sous réserve d'un dédit possible sur dix rames. Le lancement d'un appel d'offres courant juin 2012 pour plus de soixante dix rames RER à deux niveaux de nouvelle génération destinées au prolongement à l'Ouest de la ligne Eole est de nature également à rassurer les industriels et ce d'autant que ces matériels très capacitaires devraient être livrés dès la fin 2017. D'ici là, le dossier de remplacement des voitures Corail entrant dans la composition des TET (Trains d'Equilibre du Territoire) pourrait avoir été débloqué. Il représenterait de nouvelles perspectives pour Alstom et Bombardier, ces derniers prévoyant dès l'origine de développer des versions Intercités de leurs ... Régiolis et Régio2N. Là-encore, ce dossier risque cependant de connaître également des retards lié au mauvais état des finances de ... l'Etat cette fois.
Il ne faut pas également omettre toutes les potentialités représentées par la vente de nouveaux tramways ou de métros car ce sont ces contrats qui assurent également au quotidien le plan de charge des constructeurs. Et sur ce point, tous les projets d'équipement liés à la future mise en place du réseau du Grand Paris constitue assurément une bonne nouvelle.
Vers un déblocage
Comme la situation de blocage autour des possibilités d'acquisitions des matériels TER n'est plus tenable très longtemps, les Régions continuent de monter au créneau pour sortir de l'ornière ce dossier. Pour Jacques Auxiette, Président de l'Association des Régions Françaises (ARF) et du Conseil Régional Pays-de-la-Loire, "il faut que la réforme fiscale qui doit intervenir à l'automne 2012 attribue un panier fiscal aux Régions leur permettant de faire face au rôle accru qu'elles vont jouer en matière de développement économique, d'emploi, etc. Le versement transport, c'est une possibilité mais ce n'est pas la solution pour le financement des Régions. Plusieurs hypothèses ont donc été émises comme celle d'une fiscalité additionnelle aux fiscalités d'Etat. Celle-ci pourrait notamment prendre la forme d'une fiscalité complémentaire sur un certain nombre de flux comme les réseaux. Nous souhaitons aussi pouvoir disposer de financements à long terme, Quinze ans, c'est une durée minimum mais il faudrait que nous puissions arriver jusqu'à 20-25 ans. Ce type de financement ne doit pas, cependant, amener des surcoûts exorbitants. Enfin, il convient de mettre fin à la situation actuelle où les Régions ne sont pas propriétaires de leurs matériels. Cette situation conduit à des surcoûts lors de l'établissement par la SNCF des cahiers des charges, lesquels sont naturellement inflationnistes".
Au rang des nouvelles solutions de financement qui pourraient s'offrir aux Régions figure aussi celle du crédit-bail. Elle a déjà été utilisée par certaines Régions comme Champagne-Ardenne pour financer l'acquisition de nouvelles rames AGC bimode-bicourant. Si cette opération permet d'étaler dans le temps la charge pour les Régions, elle présente, en revanche, l'inconvénient d'être plus onéreuse à l'arrivée. Le crédit-bail ne résout pas, par ailleurs, la question de la mise de fond. Autre possibilité mais non explorée pour l'instant, celle des sociétés de location de matériel (ROSCO). Etonnamment, il n'existe pas de sociétés véritablement spécialisées en la matière. Peut-être l'ouverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux français rendra t'elle plus nécessaire l'émergence d'une telle structure à l'avenir. En attendant, les Régions en panne de financement semblent n'avoir d'autre choix que de recourir à l'emprunt pour se doter de nouveaux matériels TER.
En attendant et même si la FNAUT (Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports) pense qu'on peut faire des économies d'exploitation sur les TER, les Régions se trouvent confrontées à une véritable quadrature du cercle. C'est la raison pour laquelle elles se sont déjà rapprochées de la SNCF pour voir dans quelle mesure les matériels anciens ou rénovés pourraient être prolongés de quelques années. Mais cela ne répondra pas aux besoins liés à la nécessité de mettre en ligne des rames supplémentaires pour faire face à la croissance continue et durable des trafics. Au-delà des incidences pour les Régions elles-mêmes, ces retards d'acquisition pourraient également se traduire par des temps difficiles au niveau de l'emploi. La Région Nord-Pas-de-Calais serait, sur ce plan, la plus fortement impactée.
Olivier Constant