«Le pilotage effectif de la filière est d'abord l'affaire des industriels» - (Ville Rail & Transports – 14/12/2011 – p. 54)
Entretien avec Louis Nègre, vice-président du comité stratégique de la filière ferroviaire et président de la FIF
VR&T. : Les états généraux de l'industrie avaient clairement fait apparaître dans le secteur ferroviaire, comme dans la plupart des autres secteurs industriels, l'absence d'une véritable filière organisée et solidaire. Quel bilan tirez-vous des travaux et actions mis en œuvre depuis l'été 2010 ?
Louis Nègre : Vous avez raison d'évoquer le rôle salutaire, voire même « salvateur» des états généraux de l'industrie (EGI.) Cette initiative majeure, lancée sur proposition du président de la République, a permis de prendre conscience que notre pays, contrairement à des pays aussi différents que l'Allemagne, la Chine, le Japon ou encore la Corée, manquait cruellement de véritables filières industrielles, et qu'en l'absence d'un travail collectif en profondeur, nos industries allaient continuer à perdre à la fois des marchés et des emplois. Cela a conduit les partenaires du secteur ferroviaire - j'y inclus les syndicats de salariés, particulièrement constructifs dans les groupes de travail - à s'organiser, autour de la FI F, dans le cadre du comité stratégique de la filière industrielle ferroviaire, afin d'œuvrer à la mise en place d'une véritable filière dans notre pays. Un premier rapport d'étape vient d'être remis par le comité de pilotage de la filière industrielle ferroviaire, que je préside, à l'ensemble des membres du comité stratégique, le 9 novembre dernier, avec en perspective, je l'espère, une validation par l'ensemble des partenaires à la fois de l'analyse de la situation actuelle et des pistes d'action proposées. Ceci débouchera sur l'élaboration du rapport définitif prévu pour mars 2012.
VR&T. Quelles sont les premières pistes évoquées dans ce rapport d'étape?
Louis Nègre : Vous comprendrez bien qu'il m'est difficile d'être explicite aussi longtemps que ce rapport d'étape n'aura pas été validé dans le cadre d'une réunion officielle du comité stratégique de la filière industrielle ferroviaire. Je puis néanmoins d'ores et déjà vous préciser que ce premier rapport vise à analyser les prérequis pour la constitution d'une filière industrielle ferroviaire organisée et pérenne et, également, à effectuer un certain nombre de préconisations à la fois vers les pouvoirs publics et vers les partenaires du dossier, afin de créer véritablement cette filière en la rendant solidaire et efficace. Ces préconisations concernent cinq domaines prioritaires: la stratégie globale de la filière, le renforcement de la cohésion et de la solidarité au sein de la filière, la mobilisation des supports de la filière à l'international, le renforcement de l'efficacité économique des processus d'innovation et, enfin, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au sein de la filière, son image, son attractivité pour les jeunes diplômés aussi bien que pour les cadres expérimentés. Des pistes prometteuses se dégagent déjà au sein des groupes de travail, avec pour objectif de renforcer les moyens d'action de la filière et surtout de les rationaliser. J'y associe bien sûr les procédures publiques d'aide à l'innovation «stratégique» ou encore à l'international. Une autre préoccupation majeure qui apparaît à travers certaines préconisations est d'assurer des relations contractuelles plus harmonieuses et plus équilibrées au sein de l'ensemble de la filière, ainsi qu'un autre mode de coopération entre les acteurs. J'espère, quoi qu'il en soit, avoir prochainement l'occasion de détailler ces pistes et ces préconisations à l'issue de la prochaine réunion du comité stratégique de filière qui devra se prononcer sur ce rapport d'étape.
VR&T. : Quelle est votre réaction à la suite des déclarations de Guillaume Pepy se proposant d'être le pilote de la filière industrielle ferroviaire?
Louis Nègre : Je crois que la SNCF, grand client de la filière industrielle ferroviaire, est un partenaire indispensable et majeur. Son rôle de grand client peut s'exercer de façon déterminante à travers des décisions d'investissements qui restent à prendre sur la grande vitesse, et également en matière de prescription des matériels destinés aux régions. Quant au fret, il n'est pas interdit d'espérer ... Pour ce qui concerne le pilotage effectif de la filière industrielle ferroviaire, ceci est d'abord l'affaire des industriels eux-mêmes, qui sont directement confrontés à la concurrence mondiale sur des marchés de plus en plus concurrentiels. Je suis pleinement confiant quant aux perspectives offertes par les travaux en cours au sein du comité stratégique de la filière ferroviaire auxquels est associée la SNCF. Le gouvernement, par l'intermédiaire du ministre de l'Industrie, m'a confié en août 2010 cette mission, que j'entends remplir jusqu'au bout. Je m'emploierai pleinement pour que ces travaux, en liaison étroite avec ceux menés dans le cadre des assises du ferroviaire et en concertation permanente avec l'ensemble des partenaires du secteur, en particulier les grands décideurs, débouchent sur la constitution d'une véritable filière industrielle ferroviaire, organisée et pérenne.
VR&T : Parallèlement à la mise en place du comité stratégique de filière, nous avons vu se succéder un certain nombre de démarches publiques autour de l'avenir de la filière. Après la commission d'enquête parlementaire « Bocquet-Paternotte » sur l'avenir de la filière industrielle lancée en janvier dernier, il y a eu le rapport du Boston Consulting Group commandé conjointement par Bercy et par le MEEDDM, puis, depuis septembre dernier, la mise en place d'un groupe « filière » dans le cadre des Assises nationales sur le ferroviaire. Tout cela n'est-il pas redondant?
Louis Nègre : S'il est vrai que cette accumulation de «travaux publics» autour d'un même sujet qui est celui de la compétitivité et de l'avenir de la filière industrielle ferroviaire peut donner un certain sentiment de redondance, il n'en reste pas moins tout aussi vrai que cela montre bien que les pouvoirs publics ont pris conscience, depuis la mise en œuvre des états généraux de l'industrie, de l'importance stratégique de cette filière. Je ne puis donc que m'en réjouir, a fortiori dans un contexte économique et financier planétaire aussi drastique, pour ne pas dire dramatique, qui pourrait, selon certains, remettre en cause les objectifs du Grenelle de l'environnement. De mon point de vue, non seulement le mode ferroviaire à un grand avenir devant lui, mais encore la filière industrielle française dispose d'un potentiel, et bientôt, je l'espère, disposera d'une organisation qui lui permettra d'être au rendez-vous de l'avenir.